Tunis, Tunisia
April 10, 2009
Source:
Les Afriques - Le journal
de la finance africaine
Par Walid Kéfi, Tunis
Oignon
adapté à la sécheresse au Burkina Faso, piment résistant aux
maladies au Cameroun, gombo à haut rendement au Mali… A la tête
de Baddar Semences,
Raouf Ghariani estime qu’une révolution verte en Afrique passe
par les laboratoires. Et y travaille.
Né d’un père grainetier au marché central de Tunis, Raouf
Ghariani a appris son métier sur le tas. Dès son plus jeune âge,
il aidait son père dans la sélection manuelle des graines. «
J’ai été initié dès mon enfance à l’art de séparer le bon grain
de l’ivraie », raconte-t-il. A l’âge de quinze ans, le petit
grainetier, passionné, connaissait déjà les différentes variétés
des semences. Malgré un diplôme en commerce international
décroché avec brio à la fin des années 80, il a décidé de
perpétuer le métier hérité de père en fils au sein de la
famille. La passion pour la graine a pris le dessus sur les
belles offres d’emplois qui pleuvaient de partout…
Modernisation de la graineterie familiale
Grâce aux techniques commerciales acquises à l’université, il a
réussi à transformer la petite graineterie familiale en une
entreprise prospère qu’il nomma Baddar (« semencier » en arabe),
en référence à un village connu pour l’excellente qualité de ses
semences dans la région du Cap Bon, dans le nord-est du pays.
Au début des années 2000, il décide d’adopter les techniques
modernes de sélection avant de se lancer dans l’hybridisation,
qui consiste à croiser deux variétés appartenant à la même
espèce pour obtenir un rendement élevé. Naturellement, le
semencier s’est entouré d’une quinzaine d’agronomes et de
spécialistes en biotechnologies exerçant dans plusieurs
établissements de recherche locaux, dont l’Institut national de
recherche agronomique de Tunisie (INRAT). Le succès de ce
croisement entre savoir-faire ancestral et haute technologie fut
foudroyant. En l’espace de quelques années, Baddar a vu son
chiffre d’affaires se multiplier par trente pour atteindre
plusieurs millions de dinars, ce qui a permis au jeune
entrepreneur de lancer L’espace Vert, une nouvelle entreprise
spécialisée dans la commercialisation des autres intrants
agricoles, comme les engrais et les produits phytosanitaires.
Raouf Ghariani prend alors la tête de la Chambre syndicale du
commerce des semences et des plants, rattachée à l’Union
tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat
(UTICA).
Des ambitions continentales
Malgré son succès enviable, le producteur de semences estimait
que ses bons grains devaient essaimer à l’infini en dehors des
frontières du pays, notamment en Afrique. Simple logique
mercantile d’un homme d’affaires qui ne cherche qu’à se remplir
les poches ? « Mes ambitions continentales étaient à la fois
motivées par une logique commerciale et une démarche humaniste
», répond-t-il.
Pour lui, les semences sélectionnées et améliorées constituent
l’un des leviers capables d’aider le continent noir à sortir du
cycle récurent des famines et d’atteindre le niveau de la
sécurité alimentaire. Malgré cette profonde conviction, la
conquête africaine de Baddar a été un pur fruit du hasard. C’est
en déambulant dans les halls d’une foire agricole à Tunis en
2004 que le grainetier tunisien fit la connaissance de celui qui
va permettre à ses graines de se multiplier à l’infini, au-delà
des frontières du Sahara : Mamadou Kayentao, un diplômé malien
en commerce international et un passionné d’agriculture, comme
lui. « Après quelques minutes de discussions le courant est très
vite passé entre nous, tant nos parcours et nos ambitions se
ressemblaient », se rappelle le « plus tunisien des Maliens »,
aujourd’hui directeur export de Baddar. Le hasard a, encore une
fois, bien fait les choses puisque la rencontre entre les deux
hommes a presque coïncidé avec l’élection du patron des
producteurs de semences tunisiens à la tête de l’Association
africaine du commerce des semences (AFTSA). Un poste qui lui a
permis de découvrir les vastes opportunités qui existent en
dehors des frontières de la petite Tunisie.
Une filiale malienne
L’aventure africaine de la première marque tunisienne de
semences a commencé en 2005 avec l’exportation de plusieurs
variétés de semences de fruits et de légumineuses au Mali. Là
encore, le succès a été au rendez-vous, à telle enseigne que
l’entreprise du semencier n’a pas hésité à créer, un an plus
tard, une filiale malienne pour mieux répondre aux demandes des
paysans des autres pays d’Afrique de l’Ouest, comme la Côte
d’Ivoire, le Niger et la Guinée. Le bouche à oreille a continué
à bien fonctionner, incitant le gérant de Baddar à conclure
depuis 2006 des accords commerciaux avec de nombreux
distributeurs de semences en Afrique centrale et occidentale. «
Nous sommes aujourd’hui présents dans une vingtaine de pays
africains. L’exportation contribue à hauteur de 80% à notre
chiffre d’affaires », souligne-t-il fièrement.
Pour se faire une place au soleil et résister à la rude
concurrence des puissantes multinationales, le semencier
tunisien a fait le choix de travailler sur des écotypes locaux.
« Cette niche est totalement ignorée par les multinationales qui
cherchent à commercialiser des grandes quantités de semences
développées en Occident et mal adaptées aux conditions locales
», indique-t-il.
Selon lui, « être semencier est à la fois un métier d’artisan et
d’orfèvre qui nécessite une présence permanente sur le terrain
pour sonder les attentes des paysans et une grande patience,
d’autant que la création d’une nouvelle variété peut durer une
douzaine d’années ».
Accords de coopération Sud-Sud
Lors de ses déplacements en Afrique subsaharienne pour
participer aux congrès de l’Association africaine du commerce,
ou signer de nouveaux contrats, « Monsieur Baddar », comme
aiment l’appeler les paysans maliens, ne reste que très peu de
temps dans les hôtels. « On le trouve souvent en tenue
décontractée sur les parcelles en train de communiquer avec les
plantes », précise Mamadou Kayentao, estimant que c’est la
passion de la terre qui donne à son patron cette « main verte ».
Afin de se démarquer davantage des multinationales, animées
uniquement par l’appât du gain, le patron de Baddar a conclu des
accords de coopération Sud-Sud avec des semenciers et des
institutions de recherche au niveau de nombreux pays africains.
Ces accords commencent déjà à porter leurs fruits. Au Mali,
l’accord signé en mai 2008 avec l’Institut national d’économie
rurale (IER) a abouti à la production d’une variété locale de
gombo à haut rendement. Idem pour l’Algérie, où un partenariat
avec un semencier privé a donné naissance à une variété de
tomates précoces et très productives, le Cameroun (piment
résistant aux maladies) et le Burkina Faso (oignon peu gourmand
en eau).
Le pari d’une révolution verte
Le semencier tunisien, élu récemment membre du conseil
d’administration de la Fédération internationale des semences
(FIS), prévoit d’investir à moyen terme le segment des semences
améliorées des céréales. D’autant plus que le spectre des
émeutes de la faim hante toujours l’Afrique profonde. « Je vois
mal comment le bien-être social promis par les gouvernements
africains aux populations pourrait être obtenu sans une
amélioration des rendements agricoles », note-t-il. Et de
renchérir : « Les pays riches savent que la faim est le pire des
fléaux et que ni la police, ni l’armée ne peuvent calmer une
population affamée. C’est pourquoi ils ont toujours tenu à
protéger leur autosuffisance alimentaire par les protections
douanières et les subventions. »
A ses yeux, une révolution verte sur le continent passe par les
laboratoires locaux. « C’est aux Africains de faire leur
révolution agricole, loin des diktats du FMI et de la Banque
mondiale. Ce sont ces organismes chargés du bonheur des autres
qui ont été à l’origine de la priorité donnée par nos
gouvernements à l’industrialisation, aux dépens de la sécurité
alimentaire, dans les années 80 et 90 », martèle-t-il, insistant
sur la nécessité d’« un minimum de courage politique »…
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