Paris, France
August 31, 2006
Spécial « Innov-Agri » du 5 au 7 septembre 2006
En 1994, l’INRA
et
Serasem(1) inscrivent au catalogue officiel français la
première variété de colza hybride, Synergy. Cet hybride est la
première application d’une quinzaine d’années de recherche pour
mettre au point un système génétique d’obtention des hybrides.
Les scientifiques de l’INRA ont réalisé récemment des avancées
déterminantes pour perfectionner ce système, qui devrait
permettre à l’avenir d’explorer complètement les potentialités
des hybrides.
L’huile de colza
est l’huile alimentaire la plus riche en acides gras essentiels
(à la fois familles des oméga 3 et des oméga 6), dont l’intérêt
nutritionnel est reconnu. L’extraction de l’huile fournit
simultanément un sous-produit riche en protéines, le tourteau,
utilisé en alimentation animale.
L’INRA a engagé dès sa création, en 1946, les premiers travaux
français de génétique et de sélection sur le colza et a ainsi
largement contribué à son développement. Quasiment absent du
paysage agricole français en 1960, le colza occupe aujourd’hui
plus de 1,3 millions d’hectares. L’INRA a établi dès le départ
les bases de la sélection du colza alimentaire. Actuellement, la
production s’oriente vers un développement des usages non
alimentaires de l’huile de colza : production de biocarburant,
de lubrifiant biodégradable pour les engins mécaniques, de
fluidifiant pour le pétrole dans les oléoducs…. Le développement
de ces filières dépendra de leur compétitivité. Pour obtenir des
variétés à haut rendement, les recherches coordonnées des
scientifiques de l’INRA et des sélectionneurs se concentrent
depuis quelques années sur la production d’hybrides.
Lignées,
hybrides, quels intérêts respectifs ?
Les lignées et les
hybrides constituent 2 types variétaux (2) obtenus différemment.
Les lignées sont des plantes homozygotes : les 2 lots de
chromosomes parentaux qui constituent leur génome possèdent des
gènes identiques. Ces plantes engendrent elles-même par
autofécondation des descendants homozygotes identiques.
Au contraire, les
hybrides sont issus de croisements entre des parents assez
éloignés génétiquement et possèdent par conséquent 2 lots de
chromosomes ayant des gènes différents. Les hybrides sont plus
difficiles à obtenir que les lignées car le colza est une plante
qui s’autoféconde naturellement. Par contre, ils possèdent une
propriété particulière connue sous le nom de « vigueur
hybride ».
Les hybrides de colza représentent actuellement en France 30% du
marché des semences certifiées, la plus grande partie de ce
marché (70%) étant issue des lignées. En Allemagne au contraire,
les hybrides représentent plus de 60% des semences utilisées. Il
semble qu’en France, les avantages offerts par les hybrides ne
compensaient pas jusqu’à présent les contraintes rencontrées
pour les obtenir. Mais cette situation pourrait changer
prochainement grâce aux progrès conjoints des chercheurs et des
sélectionneurs. En effet, les hybrides mis sur le marché depuis
2004-2005 possèdent des rendements de plus en plus compétitifs
par rapport aux lignées.
Les scientifiques de l’INRA ont réalisé d’année en année des
avancées majeures dans le perfectionnement progressif du système
génétique permettant de produire les hybrides.
Le système
génétique d’obtention des hybrides : une succession d’obstacles
à surmonter
La première
difficulté pour obtenir, à l’échelle industrielle, un croisement
entre des variétés de colza différentes est d’éviter
l’autofécondation. Dans ce but, les chercheurs de l’INRA ont
développé dans les années 90 des lignées mâle stériles,
dépourvues de pollen donc « obligées » de se croiser avec une
autre lignée.
Pour y parvenir, ils ont décortiqué le mécanisme d’une stérilité
mâle particulière existant naturellement chez certaines plantes
de radis sauvage. Le gène responsable de cette stérilité est
contenu dans le cytoplasme, et non dans le noyau des cellules,
d’où son nom de stérilité mâle cytoplasmique (SMC). Les
chercheurs ont d’abord obtenu, par croisement interspécifique
entre un colza et un radis, des colzas mâles stériles possédant
un génome de colza et un cytoplasme de radis. Mais le génome du
colza ne fonctionne pas bien avec le cytoplasme de radis, si
bien que ces plantes possédaient des anomalies (déficience en
chlorophylle, fleurs sans nectar n’attirant pas les
pollinisateurs). Les chercheurs de l’INRA, sous la direction de
Georges Pelletier, ont alors eu l’idée de « rajouter » du
cytoplasme de colza. C’est possible chez les plantes en
utilisant la fusion de protoplastes (3). Les chercheurs de
l’INRA ont obtenu ainsi des colzas ayant des chromosomes de
colza et un cytoplasme mixte colza/radis contenant le gène
originaire du radis conférant la stérilité mâle. Ce type de
colza est à la base de la majorité des hybrides actuels cultivés
en France et d’un des brevets les plus exploités de l’INRA
(brevet Ogu-INRA, WO9205251, 1990).
La deuxième
difficulté à surmonter est d’obtenir des graines à partir de
l’hybride car ce sont les graines qui fournissent de l’huile. En
effet, l’hybride est lui-même au départ mâle stérile, puisqu’il
contient dans son cytoplasme le gène de SMC. Il ne peut donc pas
s’autoféconder et donner des graines. Les chercheurs de l’INRA,
sous la direction de Michel Renard, ont résolu cette
difficulté, en créant par croisement une lignée de colza dite
« restauratrice » contenant un gène nucléaire de radis qui
annule l’effet du gène de SMC et restaure la fertilité.
L’obtention d’une lignée restauratrice de fertilité possédant
des qualités agronomiques telle qu’une teneur en glucosinolates
réduite, a fait l’objet d’un dépôt de brevet (brevet R2000,
EP03291677.7, 2003)
Pour obtenir un hybride fertile, il faut donc croiser une lignée
maternelle mâle stérile (colza ayant dans son cytoplasme le gène
de radis de la SMC) et une lignée paternelle restauratrice
(colza fournissant le pollen, et ayant dans son génome le gène
restaurateur de radis). On obtient ainsi un hybride fertile, dit
« restauré ».
Un progrès majeur
a été récemment accompli en identifiant le gène de restauration,
ce qui permet maintenant de sélectionner à l’aide de marqueurs
moléculaires les lignées restauratrices contenant ce gène.
Cette technologie est à la disposition des semenciers qui le
désirent et devrait permettre un fort développement de la
sélection d’hybrides de colza dans les 5 à 10 ans à venir.
(1) SERASEM est
un G.I.E. de recherche et de sélection végétales.
(2) Variétés, lignées, hybrides : une variété est définie par
ses propriétés agronomiques et technologiques originales et par
sa structure génétique. Elle peut être en particulier une
lignée, ou un hybride.
(3) Fusion de protoplastes : les protoplastes, cellules
végétales dépourvues de paroi, peuvent fusionner et régénérer
une plante entière. Ici, il s’agit de fusionner un protoplaste
de colza mâle stérile (à cytoplasme de radis) et un protoplaste
de colza normal (à cytoplasme de colza).
In 1994, INRA and Serasem (1)
registered the first hybrid rapeseed variety, Synergy, in the
official French catalogue. This hybrid was the first application
resulting from fifteen years of research on a genetic system to
breed hybrids. INRA scientists have recently achieved crucial
advances in perfecting this system, which should in the future
enable complete exploration of the potential of hybrids.
Rapeseed oil is the edible oil
which contains the highest levels of essential fatty acids (from
the families of both omega 3 and omega 6) with acknowledged
nutritional value. Its extraction also supplies a protein-rich
by-product, oilseed cake, which is used for animal feed.
As soon as it was set up on 1946, INRA initiated the first
French studies on the genetics and breeding of rapeseed and thus
made a major contribution to its development. Almost absent
from the French farming landscape in 1960, rapeseed crops now
cover more than 1.3 million hectares. From the start, INRA
established the foundations for the breeding of edible
rapeseed. At present, research is turning towards the
development of non-food uses for rapeseed oil: the production of
biofuels, biodegradable machine oil, thinners for use in oil
pipelines, etc. Development of these sectors will depend on
their competitiveness. To breed high-yield varieties, research
coordinated by INRA scientists and breeders has focused in
recent years on the production of hybrids.
Lines, hybrids: what is their
respective importance?
Lines and hybrids constitute two
types of variety (2) which are obtained differently.
Lines are homozygous plants: both groups of parental chromosomes
making up their genome are endowed with identical genes. These
plants engender in turn (by self-fertilisation) identical
homozygous progeny.
By contrast, hybrids are obtained by crossing parents that are
relatively distant genetically and are thus endowed with two
groups of chromosomes with different genes. Hybrids are more
difficult to breed than lines because rapeseed is a plant which
naturally self-fertilises. On the other hand, they possess the
particular known trait called "hybrid vigour".
At present in France, rapeseed hybrids make up 30% of the market
of certified seed, the other 70% arising from lines. By
contrast, in Germany, hybrids account for more than 60% of the
seed used. It appears that in France, the advantages offered by
hybrids did not until now compensate for the problems
encountered in breeding them. However, this situation could
change in the near future thanks to the advances achieved by
researchers and breeders. Indeed, the hybrids put on the market
since 2004-2005 exhibit increasingly competitive yields when
compared with lines.
Every year, INRA scientists have achieved major advances in
gradually perfecting the genetic system which enables the
production of hybrids.
The genetic system for hybrid breeding: a succession of
obstacles to be overcome
The first obstacle to breeding a
cross of different rapeseed varieties at an industrial scale is
to prevent self-fertilisation. With this in mind, during the
1990s INRA researchers developed sterile male lines, devoid of
pollen, which were thus "forced" to cross with another line.
To achieve this, they explored the mechanism underlying a
particular type of male sterility which exists naturally in some
wild radish plants. The gene responsible for this sterility is
found in the cytoplasm and not the nucleus of cells, hence its
name: cytoplasmic male sterility (CMS). Through inter-species
crossings between rapeseed and a radish, the researchers bred
sterile male rapeseed endowed with a genome of rapeseed and a
cytoplasm of radish. However, the rapeseed genome did not
function satisfactorily with the radish cytoplasm, so that these
plants displayed abnormalities (chlorophyll deficiency, flowers
without nectar which did not attract pollinators). INRA
researchers, under the leadership of Georges Pelletier, then had
the idea of "adding" a rapeseed cytoplasm. This was made
possible in plants by applying protoplast fusion (3). The
researchers thus obtained rapeseed with rapeseed chromosomes and
a mixed rapeseed/radish cytoplasm containing the original radish
gene providing male sterility. This type of rapeseed forms the
basis for the majority of the hybrids cultivated in France at
present, and constitutes one of the most widely exploited INRA
patents (Ogu-INRA patent, WO9205251, 1990).
The second obstacle was to obtain grains from the hybrid, as it
is the grains which provide oil. Indeed, the hybrid is itself a
sterile male, because it contains the CMS gene in its
cytoplasm. It cannot therefore self-fertilise and produce
grains. INRA researchers, led by Michel Renard, resolved this
problem by creating (by crossing) a so-called "restorer"
rapeseed line containing a nuclear radish gene which cancels out
the effect of the CMS genes and restores fertility. Breeding of
a fertility restorer line endowed with agronomic qualities such
as a low glucosinolate content, was the subject of a patent
application (patent R2000, EP03291677.7, 2003).
To obtain a fertile hybrid, it is therefore necessary to cross a
sterile male maternal line (rapeseed containing the radish CMS
gene in its cytoplasm) and a restorer male line (rapeseed
providing pollen, and containing the radish restorer gene in its
genome). A fertile, "restored" hybrid is thus obtained.
A major advance achieved recently was identification of the
restorer gene, which will now make it possible to breed restorer
lines containing this gene through the use of molecular markers.
This technology is available to seed producers who wish to use
it and should enable considerable development in the breeding of
rapeseed hybrids over the next 5 to 10 years.
(1) SERASEM is an Economic Interest Group for plant research and
breeding.
(2) Varieties, lines, hybrids: a variety is defined by its novel
agronomic and technological properties and its genetic
structure. It may be a line or a hybrid.
(3) Protoplast fusion: protoplasts, which are plant cells devoid
of a wall, can fusion and regenerate an entire plant. In this
case, the aim was to fusion a sterile male rapeseed protoplast
(with a radish cytoplasm) and a normal rapeseed protoplast (with
a rapeseed cytoplasm). |