Montpellier, France
May 31, 2006
L’Argentine, la
Bolivie et le Brésil représentent 44 % des terres cultivées dans
le monde selon les principes de l’agriculture de conservation :
non-labour, rotation et couverts permanents. L’Europe se place,
elle, en queue de peloton. Les résultats du projet
Kassa
mettent en évidence les causes de cette
disparité.
La pratique de
l’agriculture implique nécessairement une interaction entre
l’homme et l’environnement. Même si les avantages sont certains,
les inconvénients sont multiples : biodiversité en berne,
qualité du sol amoindrie, déséquilibre de la disponibilité en
eau et détérioration de sa qualité. Parmi les solutions
envisagées, l’agriculture de conservation vise à préserver et à
améliorer le sol et la vie qui lui est associée. Elle conjugue
trois principes : la réduction voire l’élimination du travail du
sol, le couvert permanent et la mise en place de rotations
adaptées et plus diversifiées. L’agriculture de conservation est
aujourd’hui pratiquée sur plus de 95 millions d’hectares de
terres cultivées à travers le monde*.
Adoptée à l’heure actuelle par les plus grands pays producteurs,
l’agriculture de conservation n’est cependant pas aisément
applicable à tous les contextes. Le projet
Kassa, coordonné par le Cirad,
a permis, en 18 mois, de faire le point sur les connaissances
acquises dans ce domaine particulier de l’agriculture durable.
Il a mobilisé des partenaires issus de 28 institutions de
recherche et développement dans 18 pays d’Europe, d’Afrique du
Nord, d’Asie et d’Amérique latine.
L'agriculture de conservation en
fort
développement mais de façon inégale
Première constatation : de plus en plus d’agriculteurs, dans un
nombre croissant de pays adoptent l’agriculture de conservation.
Cette progression est notamment visible dans les pays fortement
producteurs et vendeurs d’Amérique du Sud et du Nord** et en
Australie. Alors qu’en 1990, cette technologie n’était utilisée
que sur moins de 10 millions d’hectares en Amérique latine, elle
se déploie aujourd’hui sur plus de 40 millions d’hectares. En
Inde, les surfaces de culture de blé en zéro labour croissent de
façon exponentielle : de 400 hectares en 1998 à près de 2,2
millions d’hectares en 2005.
L’Europe, en revanche, reste visiblement à la traîne malgré
l’intérêt, pour la recherche, suscité par le non-labour et le
travail réduit du sol entre le début des années 60 et les années
90. En Espagne, l’agriculture de conservation se pratique depuis
les années 80, sans que l’on en connaisse l’étendue de façon
exacte. En Europe centrale et orientale, dans les pays Baltes
ainsi qu’au Sud de la Méditerranée, des systèmes inspirés de
l’agriculture de conservation font peu à peu leur apparition***.
Et pour cause : l’agriculture de conservation permet aux
agriculteurs de réaliser, sur le court terme, dans un contexte
où la concurrence est de plus en plus forte, des économies non
négligeables en termes d’énergie, de machines et surtout de
temps de travail.
La réduction des coûts de production suscite l'intérêt des
agriculteurs
Quelles sont alors les causes de cette disparité ? Diverses
contraintes dissuadent les agriculteurs qui se lancent dans
l’agriculture de conservation ou les poussent à n’utiliser
qu’une partie de la technologie. En effet, certains types de sol
(sensibles au compactage, humides, etc) ou de climats (très
humides, froids ou trop arides) ne favorisent pas cette
pratique. Le couvert permanent et la rotation, en particulier,
sont censés protéger le sol contre l’érosion et combattre les
mauvaises herbes, les ravageurs et maladies. Cependant, ils
induisent des coûts supplémentaires pour les agriculteurs : les
plantes cultivées en rotation ne trouvent pas toujours de
débouché sur le marché ; la couverture favorise dans certains
cas le développement de ravageurs et de maladies ; les plantes
et variétés adaptées font encore défaut. D’où le recours,
parfois intensif, aux pesticides.
En outre, en Europe, le niveau de production est déjà très élevé
et l’introduction de l’agriculture de conservation ne modifie
pas les rendements de manière spectaculaire (+/- 10 %). La seule
motivation reste donc la réduction des coûts de production et
c’est, à l’heure actuelle, ce qui semble susciter l’intérêt des
agriculteurs européens.
Reste encore à développer, améliorer et adapter cette
technologie aux différents contextes favorables. L’impact de
l’agriculture de conservation sur les propriétés et le
fonctionnement des sols tout comme sur les micro et
macro-organismes qui y vivent est encore mal compris. Il s’agit
également de mieux connaître les conséquences des polluants,
métaux lourds ou pesticides employés sur la qualité du sol, de
l’eau et de la chaîne alimentaire. Il est en outre nécessaire de
préciser les répercussions sociale et économique, notamment sur
l’emploi, le développement rural dont, en particulier
l’éducation des enfants et la situation des femmes dans les pays
pauvres, ou encore les prix des aliments. De façon plus
générale, si les bénéfices à court terme sont assez parlants
pour que l’agriculture de conservation trouve aujourd’hui sa
place dans les paysages de plusieurs continents, de nombreuses
questions restent en suspens quant à son impact, positif ou
négatif, à plus long terme.
* Derpsch R. The
extent of conservation agriculture adoption worldwide :
implications and impact, 3e Congrès mondial sur l’agriculture de
conservation, 3-7 octobre 2005, Nairobi, Kenya
** Argentine, Afrique du sud, Australie, Bolivie, Brésil,
Canada, Chili, Colombie, Etats-Unis, Mexique, Paraguay, Uruguay,
qui appartiennent aux groupes Cairns, Mercosur ou Nafta.
*** Estonie, République tchèque, Ukraine, Tunisie
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